Tareq Bitar : Le juge libanais face à la classe politique

15/10/2021

En tissant ses filets autour de plusieurs responsables malgré les pressions et les menaces, le juge Tareq Bitar, chargé de l'enquête sur l'explosion au port de Beyrouth, est devenu pour une partie des Libanais une icône de la lutte contre une classe politique honnie.


Mais ce discret magistrat de 47 ans s'est également mis à dos le puissant mouvement chiite armé Hezbollah et ses partisans, qui l'accusent de politiser l'enquête et exigent son remplacement.


Une manifestation organisée jeudi à Beyrouth par le Hezbollah et le mouvement Amal, son allié, pour exiger le départ du juge a tourné au drame, des tirs contre le rassemblement ayant fait des morts. Des manifestants ont brûlé des portraits du magistrat.


Mais sur les réseaux sociaux, les messages d'appui au juge fleurissent, surtout depuis qu'il a été menacé selon des fuites dans la presse par un responsable du Hezbollah, dans un pays à l'histoire jalonnée d'assassinats politiques.


Le juge est la cible de violentes attaques verbales depuis qu'il a émis mardi un mandat d'arrêt contre un député et ex-ministre d'Amal, allié du Hezbollah. 
Avec sa réputation de juge incorruptible et sa volonté de mettre en examen des barons du cartel politique au pouvoir depuis des décennies, il incarne pour beaucoup le symbole d'une justice indépendante, un des derniers piliers du Liban sur le point de s'effondrer. "Il allie la conscience à l'audace, des qualités essentielles pour un juge", témoigne Youssef Lahoud, l'un des avocats des familles des victimes de l'explosion au port de Beyrouth qui a fait le 4 août 2020 au moins 214 morts et plus de 6.500 blessés.


Pour M. Lahoud, le juge "jouit de la confiance" des familles des victimes du drame, causé par le stockage sans mesures de précaution d'énormes quantités de nitrate d'ammonium, mais aussi des proches des personnes arrêtées. 
Pointées du doigt pour négligence criminelle, les autorités libanaises sont accusées de torpiller l'enquête locale pour éviter des inculpations.

Le juge dérange la classe politique, habituée à jouer des allégeances communautaires pour parvenir à ses fins.
"On ne lui connaît pas d'affiliation politique", alors que beaucoup de magistrats se réclament des grands partis représentant leur communauté religieuse, affirme un proche du juge sous couvert de l'anonymat. "C'est bien là le problème des politiciens avec le juge Bitar: ils n'ont aucun moyen de pression sur lui.

"
Le juge parle rarement à la presse. Mais les hommes politiques de tous bords qu'il poursuit et cherche à interroger dans le cadre de l'enquête l'accusent de ne pas cacher devant ses interlocuteurs sa conviction qu'il est temps de changer la classe politique.
 Ce juge chrétien s'est forgé au cours des années une réputation de magistrat "intègre et incorruptible", de l'aveu même de ses détracteurs.
 Sûr de lui, au point de l'arrogance selon certains, il évite de se montrer en public. "Lorsqu'il a été chargé de l'enquête, on a eu du mal à trouver une photo de lui", affirme le proche du juge.


Austère et au sourire rare, il n'accepte aucune invitation à dîner, décline toutes les réceptions, et évite toutes les occasions sociales de peur d'être accusé de complaisance, selon lui. "Son audace les dérange. Il constitue un phénomène sans précédent au Palais de justice. "
Né en 1974 dans le village d'Aydamoun au Liban nord, il vit dans une banlieue du nord de Beyrouth avec son épouse pharmacienne et ses deux enfants, désormais gardés par des militaires.
 Après un diplôme de droit à l'Université libanaise, il a commencé sa carrière au Liban nord, s'y affirmant comme un magistrat indépendant, avant de présider la Cour criminelle de Beyrouth.


Il a traité plusieurs cas complexes. L'un des plus récents, l'affaire d'Ella Tannous qui a soulevé un tollé au Liban: le juge a condamné en 2020 deux hôpitaux privés et deux médecins à verser de lourdes indemnités à la famille de cette fillette victime d'une erreur médicale et qui avait dû être amputée de ses bras et jambes, se mettant à dos le corps médical qui s'était mis en grève.


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