Sur l'île de la boxe, les femmes cubaines restent interdites de compétitions

15/06/2019

Depuis quatre ans, Idamelys Moreno se bat sans relâche pour devenir championne de boxe, mais quelle ironie : son pays, Cuba, première puissance mondiale dans cette discipline, ne l'autorise pas à monter sur le ring des compétitions.
"Ils ne nous laissent pas notre chance", soupire la jeune femme de 27 ans, étudiante en sport, au sortir d'une séance d'entraînement dans un gymnase privé de La Havane aux murs recouverts d'affiches des grandes gloires cubaines de la boxe, comme Teofilo Stevenson.
Enfant, cette brune de petite taille mais toute en muscles a pratiqué l'athlétisme, le football, la lutte, jusqu'à trouver, il y a quatre ans, sa grande passion : la boxe.
Un sport qui fait la fierté de cette île de 11 millions d'habitants. Avec 37 titres olympiques et 76 titres mondiaux, Cuba affiche un palmarès inégalé... mais uniquement dans la catégorie masculine.
C'est là un paradoxe : Cuba est représenté dans les catégories féminines de tous les sports, y compris l'haltérophilie et la lutte depuis 2006, mais pas en boxe.
Les autorités sportives restent rétives à l'idée de laisser participer les femmes à des compétitions. Car sur l'île, l'idée encore généralement admise est que la boxe est une affaire d'hommes et trop dangereuse pour les femmes.
Ailleurs dans le monde, les mentalités ont pourtant évolué et la boxe féminine est aux jeux Olympiques depuis Londres-2012.
"Tous les sports de combat sont dangereux", admet Idamelys Moreno, "mais nous avons des protections pour la poitrine, la tête, la bouche !"
"S'ils nous en laissent l'opportunité, nous aussi nous pourrons augmenter la récolte de médailles", assure-t-elle.
Elle espère que l'Institut cubain des sports (Inder) donnera son feu vert aux compétitions de boxe féminine "avant le prochain cycle olympique" et poursuit en attendant son entraînement intensif, en visant une entrée dans la catégorie poids plume (-57 kilos).
Au gymnase, elle se bat généralement contre des hommes, plus grands et plus costauds.
Son surnom dans le milieu ? "La dompteuse", en référence à l'équipe locale des "Dompteurs de Cuba" qui participe aux World Series of Boxing (WSB), un championnat international semi-professionnel.
"C'est une boxeuse avec beaucoup d'enthousiasme et d'énormes capacités physiques et elle n'a pas encore atteint son vrai potentiel", estime son préparateur Emilio Correa, vice-champion olympique de 2008 et médaillé de bronze aux Mondiaux de 2005.
La sueur fait briller la peau sombre d'Idamelys après une séance d'entraînement avec Yuria Pascual, biologiste de 26 ans, et Ana Gasquez, une Française venue sur l'île en 2014, attirée par la magie de la boxe cubaine - "la meilleure au monde".
Yuria et Ana espèrent combattre un jour en catégorie poids moyens (-75 kilos).
Ambitieuse, Idamelys "la dompteuse" rêve de "décrocher une médaille mondiale... et olympique".
Même assurance chez Yuria : "Si les hommes en sont capables, pourquoi pas nous ?", lance-t-elle.
Ce que souhaite Ana la Française, c'est avant tout boxer sous les couleurs de Cuba: "Si c'est ici que j'apprends tout, pourquoi aller représenter un autre pays ?", dit cette mince jeune femme.
Mais la réticence des autorités sportives cubaines à donner leur feu vert aux compétitions de boxe féminine "finit par décourager" les jeunes femmes désireuses de monter sur le ring, regrette Idamelys.
Pourtant, les sportifs semblent eux très ouverts à cette pratique: dans tous les gymnases de boxe de Cuba, les portes sont grandes ouvertes pour les femmes.
"Les garçons nous aident, ils ne nous discriminent pas", témoigne Ana.
Pour l'entraîneur Emilio Correa, si les compétitions de boxe féminine sont enfin autorisées à Cuba, la pratique deviendra immédiatement "massive". Car "ici, c'est l'île de la boxe".
Les choses avaient semblé avancer en 2016 : le président de la Fédération cubaine de boxe, Alberto Puig, avait envisagé d'ouvrir les compétitions aux femmes. Mais trois ans plus tard, toujours rien.
"On ne peut pas nier aux femmes cubaines leur droit à participer à des compétitions" de boxe, déclare à l'AFP Alcides Sagarra, 82 ans, considéré comme le père de la boxe cubaine.
Et "elles finiront par avoir un bon niveau", prédit celui qui a formé plus de 80 champions olympiques et mondiaux, dont le légendaire Stevenson (1952-2012).
Pour les jeunes boxeuses, impossible de ne pas penser à Namibia Flores, un exemple de ténacité en la matière mais qui a atteint en 2016 les 40 ans - l'âge maximum fixé par la Fédération internationale de boxe pour participer aux jeux Olympiques, chez les hommes comme les femmes - sans réaliser son rêve olympique.
"Je n'ai pas envie qu'il nous arrive la même chose", dit Idamelys.
C'est aussi la place de l'île sur la scène mondiale de la boxe qui est en jeu, alors que la catégorie féminine prend de plus en plus d'ampleur dans les compétitions.
 


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