Seul l’amour peut encore nous sauver

02/02/2015

Seul l’amour peut encore nous sauver
Connu pour ses recueils de poésie, dont Cantique du désert (L’Harmattan, 2004) préfacé par Abdellatif Laâbi, Rachid Khaless vient de publier aux éditions La Croisée des Chemins son premier roman. Et signe là un coup de maître. Le récit se déroule entre la fin des années de plomb et l’avènement du nouveau Roi à la fin des années 90. Adam est un militaire à la recherche de son identité. Considéré comme mort lors de sa captivité, il a perdu son état-civil, son nom patronymique ainsi que le sentiment d’exister. Ce déni d’identité est vécu comme un cauchemar kafkaïen par Adam. Rachid Khaless décrit son périple et les perpétuels obstacles qu’il rencontre dans sa quête de justice et de reconnaissance sociale : « Peut-on être fidèle à son pays si l’on se sent amputé de son identité alors qu’il faut aller de l’avant ? Oui, amputé, se répéta Adam, car on n’est pas entier pour saisir un bonheur qui peut se présenter. Qui suis-je sans mon nom dans le chaos de la vie ? Un fétu qui s’affole sous le coup du vent ». Ses plaintes sont ignorées par les institutions étatiques pour lesquelles il s’est dévoué en servant fidèlement et avec intégrité la patrie. Adam vit dans un monde où la considération de la vulnérabilité est inexistante. Les démarches administratives pour reconquérir son nom et ses papiers d’identité sont une odyssée douloureuse dans un monde privé de sens, où l’on exige tout des citoyens mais où l’on ne lève pas le pouce pour eux.
Le moqadem le prévient : « Le Makhzen a dit : tu es mort, alors tu es mort ! Ce que dit le Makhzen est la vérité vraie ; le reste, ce sont des niaiseries ». Les violences physiques et symboliques se multiplient autour de cet homme qui cherche à retrouver son identité. Il se retrouve interné à Berrechid, chez les fous, où on lui fait subir des électrochocs. Ce n’est qu’auprès d’Abdelalim, son ami avocat, ou de la prostituée, Wissal, qu’Adam trouve un certain réconfort. Lorsque des gens l’appellent par son nom de famille, « il en jouissait comme un orgasme ». Adam s’accroche à ces rares êtres chers pour éviter de plonger dans le désespoir et cette envie de mourir qui l’étreint chaque jour. Seul l’amour peut nous sauver de ce monde déshumanisé semble murmurer Rachid Khaless entre les lignes de ce roman, en décrivant la volupté des cabarets de Rabat où Adam se saoule de plus en plus régulièrement. Le sourire capiteux de Wissal apporte une certaine joie, lui rappelant néanmoins de manière mélancolique que la vie est  comme cette femme aux mœurs légères : «Tu lui donnes tout, le fric, des sentiments sincères, mais elle ne te donne rien, sauf l’illusion d’avoir profité d’elle. En réalité, c’est elle qui te gangrène jusqu’à l’os». Et pourtant rien ne vaut la vie. Dans un monde où les individus n’ont plus rien à espérer de la puissance publique, où l’on respecte plus les symboles que la sacralité des existences humaines, où les seuls espoirs sont véhiculés par des intégristes professant la violence d’une religion qui n’existe que dans leur tête, Adam incarne le visage de ces vaincus épris d’anéantissement. Dès lors, oui, la question que pose Rachid Khaless est essentielle : Est-ce que l’amour peut encore nous sauver ?
 

Seul l’amour peut encore nous sauver







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