Mounia Bennani architecte paysagiste : On a la chance d’avoir un héritage fabuleux marocain ou maroco-français des parcs et des jardins

18/03/2019

 Mounia Bennani est diplômée de l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles et de l’Ecole des hautes études en 
sciences sociales de Paris, où elle a soutenu une thèse de doctorat en géographie sur l’histoire 
du paysage dans le contexte 
de l’aménagement des villes nouvelles pendant le Protectorat au Maroc. Elle a fondé en 2006 sa propre agence, MBpaysage, établie à Rabat. Elle milite pour la création d’espaces publics 
de qualité et l’amélioration du cadre de vie au Maroc. Elle a cofondé en décembre 2010 
l’Association des architectes-paysagistes du Maroc (AAPM), première association d’Afrique du Nord regroupant les 
professionnels de l’architecture du paysage reconnue par l’IFLA (International Federation of Landscape Architects).


Libé : Votre travail porte sur l’histoire des parcs et des jardins du Maroc à travers ce beau livre «Villes-Paysages du Maroc». Pourquoi ce choix ?
J’ai fait ce choix pour faire connaître une partie de l’histoire  du Maroc, qui était restée inconnue, celle des parcs et des jardins et de l’ensemble du patrimoine végétal planté à l’époque du Protectorat entre 1912 et les années 50 et 60. C’est également pour faire connaître l’histoire végétale contemporaine de nos villes.

En tant  que Marocain, je ne connais pas cette histoire. Je connais tous ces parcs à Rabat et je les ai  fréquentés régulièrement quand j’étais étudiant, mais j’ignore  leur histoire. Est-ce à cause de cette histoire coloniale?
Exactement, c’est l’histoire coloniale qui est derrière cela. Ce patrimoine végétal a  été considéré  comme patrimoine colonial et non marocain. Le recul de l’histoire n’a pas été encore pris.  Mais,  aujourd’hui, on a ce recul. Le classement de ces jardins au rang de patrimoine de l’Unesco nous permet maintenant de le reconnaître à sa juste valeur.  En 2010 et 2011,  on a commencé à faire ce travail, à s’intéresser à cette histoire du patrimoine végétal, aux parcs et aux jardins. Ce travail,  je l’ai commencé, il y a une vingtaine d’années quand j’étais étudiante  en France.

Dans les nouvelles villes que nous construisons aujourd’hui au Maroc, on n’aménage plus de parcs et de jardins comme ceux  hérités de l’époque coloniale.
C’est vrai qu’aujourd’hui on ne laisse pas beaucoup d’espace aux parcs. Il faut que les nouveaux plans d’aménagement prennent en considération le besoin d’espaces verts  et de parcs. Cela  reste timide. De plus, nous n’avons pas beaucoup de paysagistes au Maroc. On n’a pas d’école qui forment des professionnels et qui font le design parc et jardin. C’est mon cheval de bataille de faire connaître ce métier d’architecte paysagiste  et de pouvoir créer une vraie école de formation pour les Marocains.

Est-ce qu’aujourd’hui au moins ce patrimoine végétal est reconnu par les décideurs et par l’administration ?
Il faut d’abord transmettre et faire connaître ce patrimoine, c’est ce que ce livre me permet de faire.  Depuis, je parle, je fais des conférences et des émissions télé au Maroc et ailleurs. On commence à s’y intéresser.  Les pouvoirs publics et l’Etat  prennent conscience de l’importance  de préserver ce patrimoine végétal pour le bien des villes. On se rend compte que c’est un atout qui n’est pas seulement écologique. Cela a des conséquences sur le  bien-être et la cohésion sociale mais aussi  un impact sur le tourisme.  On commence tout doucement à se  rendre compte de la valeur ajoutée des jardins et des parcs.

Comme vous l’avez bien expliqué, on a un patrimoine végétal exceptionnel dans ses parcs. Pour les créer, Lyautey avait fait venir de grands architectes paysagistes  de France de  l’époque  pour expérimenter leurs nouvelles créations empreintes d’une touche inspirée du patrimoine marocain.
On a la chance d’avoir un héritage fabuleux maroco-français et marocain des parcs et des jardins. Cela  veut dire que ces jardins ont été conçus en tenant compte de l’identité de chaque ville. Les jardins de Rabat ne sont pas ceux de Fès et le jardin d’Essais de Rabat ne ressemble pas au jardin de  Jnan Sbil à Fès.  Chacun a été dessiné par des architectes français  avec leur savoir-faire mais ils ont aussi utilisé  les traditions du savoir-faire marocain, avec le réseau hydrographique,  Sakaya, Khatara,  la fontaine, la maçonnerie, le zelige. Ils ont exploité tout cela pour dessiner nos jardins.
On peut dire qu’au Maroc nous avons été chanceux avec les Français, contrairement à l’Algérie et à la Tunisie où ils ont détruit la culture locale, alors que chez nous, ils l’ont respectée voire valorisée.
Le mot d’ordre de la France au Maroc était d’abord de préserver le patrimoine et l’identité  de toutes les villes et de n’y rien toucher, et de comprendre ce patrimoine et le magnifier pour créer de nouveaux jardins. C’était unique dans la politique coloniale et c’était expérimental. Les Français dans aucune autre  colonie n’ont exploité le savoir-faire local.

Comment expliquez-vous ce traitement exceptionnel et cet amour pour le Maroc?
Tout cela est dû à un personnage exceptionnel qui est Lyautey, le premier résident au Maroc qui avait une vision extraordinaire et le désir extrême  de la préservation et du respect des mœurs et des cultures. Il était visionnaire, il avait une vision de la ville verte aérée pleine de parcs et de jardins. C’est sa vision personnelle qui a réussi à créer des villes-jardins au Maroc.

Est-ce que cela signifie  que les grandes villes marocaines sont encore empreintes de l’esprit de Lyautey ?
Oui,  c’est son esprit, et on continue à l’entretenir. Il faut donner la bonne impulsion pour faire d’autres jardins dans les villes marocaines.

Comment  faire aujourd’hui pour préserver ce patrimoine exceptionnel et mobiliser l’opinion publique et les décideurs?
Il faut communiquer, transmettre l’histoire et la faire connaître, car les gens l’ignorent.  Ils ne  connaissent pas l’histoire de leur patrimoine végétal.  Il s’agit juste de faire connaître, de sensibiliser pour amener les gens à le respecter. Le respect  et la préservation se font par une reconnaissance de ce patrimoine.  C’est ce que nous faisons et c’est un peu mon travail de faire reconnaître ce patrimoine. On a classé plusieurs jardins de l’époque de protectorat. «Patrimoine national et patrimoine mondial de l’Unesco. Cela les protège de la destruction et de l’aménagement urbain.  On est obligé de respecter  les tracés et le design de ces jardins.

Au Maroc, on a un héritage exceptionnel comme le parc de la Ligue arabe de Casablanca, qui a été construit par des prisonniers allemands.
On a utilisé  les hommes qu’on avait  sous la main : ils traçaient les tranchées, ils plantaient les palmiers. Ce jardin a été restauré et il va ouvrir ses portes, peut-être, cette année et ça c’est un travail de paysagistes. Ils ont pris soin de le restaurer et ont ajouté des équipements mais globalement, il est là, espérons qu’il sera bien restauré et bien entretenu.

Vous avez aussi parlé de ces arbres centenaires menacés.
C’est vrai, ces arbres ont été plantés en 1914 ou 1916, ils sont aujourd’hui centenaires. On est en 2019, ils ont parfois un siècle,  peut-être plus, l’âge des arbres varie entre 100 et 150 ans selon les espèces. Ils sont sensibles à la pollution et aux changements climatiques. Ce sont des données écologiques qu’il faut prendre en compte, les  remplacer petit à petit  si nécessaire, en prendre soin, plus que les arbres jeunes, c’est du vivant. 


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