Les pilleurs à l'assaut des épaves englouties en Albanie

19/11/2018

Elles ont reposé parfois des siècles au fond des mers Adriatique et Ionienne, pleines de richesses incrustées de coquillages: les épaves d'Albanie sont désormais la cible des pilleurs sous-marins. Depuis 2006, une association américaine, la RPM Nautical Foundation, a identifié une quarantaine d'épaves le long des 450 kilomètres de côtes albanaises, un patrimoine très mal connu. Ont coulé là des navires de l'Antiquité, romains surtout, peut-être aussi phéniciens, grecs ou illyriens, remontant parfois au VIIe siècle avant notre ère, mais aussi des bâtiments de guerre contemporains. Mais aujourd'hui, "la plupart des richesses qui reposaient à une profondeur de 20 à 30 mètres ont quasiment disparu sans laisser de trace", déplore l'archéologue et historien de l'art Neritan Ceka. Car si les eaux albanaises sont restées inaccessibles aux plongeurs étrangers pendant la dictature communiste (1944-90), qui a fait de l'Albanie une autarcie, elles sont aujourd'hui d'autant plus ouvertes que ce pays pauvre ne dispose pas de moyens suffisants pour exercer un contrôle strict de ses côtes.
Pour le plus grand bonheur des chasseurs d'épaves, en quête de richesses antiques à la valeur parfois inestimable, mais aussi du métal des navires modernes. "J'ai été parmi les premiers témoins de cette richesse extraordinaire en plongeant au début des années 80", souligne Neritan Ceka. "J'ai vu des amphores, des poteries, des objets archéologiques qui aujourd'hui ne sont plus là... Le pillage s'est fait d'une manière barbare."
Selon lui, "concernant les épaves qui sont près de la côte (...), des Albanais et des étrangers ont collaboré pour faire du trafic d'objets archéologiques". Difficile de savoir à combien s'élève en Albanie le montant total de ce trafic d'oeuvres antiques. A l'échelle mondiale, il génère un chiffre d'affaires de plus de 3,5 milliards d'euros par an, selon une estimation d'Auron Tare, un Albanais qui préside le Conseil scientifique et technique du patrimoine culturel à l'Unesco. "Ce qui est certain, c'est que cette chasse aux trésors sous-marine peut rapporter gros", assure Moikom Zeqo, archéologue maritime.
Lui-même a pris part à la découverte d'un navire romain du deuxième siècle avant Jésus-Christ transportant des centaines d'amphores semblables à celles que l'on retrouve en décoration dans des restaurants haut de gamme en Albanie ou dans des collections privées. Des objets de ce genre se vendent jusqu'à 100 euros pièce en Albanie. Les céramiques partiront pour beaucoup plus cher dans des enchères en Europe occidentale.
La cloche du navire austro-hongrois SS Linz, coulé avec ses 1.000 passagers après avoir touché une mine en mars 1918, a fini dans la collection privée de l'organisateur de l'expédition sous-marine, en Autriche, affirme Auron Tare. .Il raconte avoir découvert en 2013 l'épave d'un vapeur croato-hongrois, le Pozsony, qui avait coulé au large de Durres en 1916 en touchant une mine. De retour quatre ans plus tard, "nous avons constaté qu'il n'en restait presque rien", se lamente-t-il.
Le bateau-hôpital italien Po, torpillé par les Britanniques en 1941 au large de Vlore (Sud-ouest), a connu un sort similaire. A bord était embarquée comme infirmière la fille du Duce Benito Mussolini, Edda Ciano, qui a survécu. Aujourd'hui, tous les objets de valeur qui y étaient ont disparu: la cloche, la boussole, le télégraphe, les feux, la vaisselle... Achetées en première main à 5.000 euros, certaines pièces ont été revendues jusqu'à vingt fois plus cher à des collectionneurs, selon Ilir Capuni.


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