Le Big Brother de la cyber-surveillance en entreprise

23/02/2019

Aujourd’hui, presque toutes les sociétés néolibérales se caractérisent par une nouvelle forme d’utopie, à savoir la « cyber-surveillance ». Elle est perçue comme une solution apte à éradiquer tout comportement non souhaité au sein d’une entreprise. Pour évoquer ce sujet, nous nous sommes basés sur l’analyse de Michel Foucault dans son ouvrage : «Surveiller et punir ». Tout en se posant les questions suivantes : dans quelle mesure l’approche foucaldienne est –elle applicable dans les organisations postmodernes ? Quel intérêt de mettre en place des open space ?
 La rédaction dudit ouvrage remonte à une période où Michel Foucault avait fait preuve d’un fort militantisme, qui a pris la forme d’un groupement d’informations sur les prisons, pendant les années 1970, et à travers de nombreuses enquêtes qui ont été réalisées sur les conditions de vie des prisonniers au sein de plusieurs établissements pénitentiaires. Pour lui, tout ce qui se passe en prison, est à l’image d’une société en miniature. Il nous explique par la même occasion le fonctionnement d’une prison et par extension celui de la société. Preuve en est, les mécanismes de contrôle pénitentiaires qui seraient une punition et en même temps un pouvoir. Ce que Louis Althusser appelle : les appareils répressifs de l’Etat.
A son époque, Foucault avait parlé du principe du panoptisme que nous constatons de nos jours dans les entreprises. Ce principe a été inventé à la fin du XVIIIème siècle par Jeremy Bentham, un avocat britannique, en s’inspirant des plans d’une usine mis au point pour la surveillance. C’est un concept architectural basé sur un principe simple : une tour centrale située au milieu et autour de laquelle toute la prison va être construite en cercle. Les gardiens de la prison se trouvaient au centre. Ils surveillaient les prisonniers sans être vus. Pour Bentham, le panoptisme va permettre de garder les détenus calmes et les pousser à améliorer leurs comportements. Le système carcéral résultant à l’époque sur de nombreux problèmes tels que les maladies graves, un manque d’hygiène ou autres violences, d’où l’intérêt du panoptisme. De plus, il est applicable à différentes institutions telles que les prisons, les hôpitaux, les grandes structures. Mais encore, les banques, les mutuelles d’assurances et les écoles. Elle symbolise une sorte de cellules qui vont permettre à la société de décrypter et d’analyser les comportements des citoyens et des travailleurs en permanence. 
Au 21ème siècle, ce principe semble être une lame à double tranchant. D’abord, il permet d’une part, de surveiller les travailleurs, corriger leurs comportements et mettre fin à la violence et d’autre part de maximiser le gain et le profit. Le but étant d’induire chez les citoyens un Etat conscient, qui va assurer le fonctionnement automatique du pouvoir. D’autant plus qu’un grand nombre de penseurs confirment que ce principe-là dit archaïque, a été une ligne directrice dans les sociétés modernes et surtout dans les milieux professionnels.
De nos jours, ces nouveaux dispositifs de surveillance favorisent un contrôle plus étendu quand il s’agit des activités de n’importe quelle société. Ainsi, ils métamorphosent l’entreprise en un lieu d’observation qui va transformer sur le champ, la relation entre l’employeur et l’employé.
Selon un auteur français «le panoptique contiendrait les germes d’une théorie économique qui s’est diffusée de manière plus ou moins explicite dans les pratiques managériales au cours du XXème  siècle», chose qui crée chez l’homme le sentiment d’être régulièrement surveillé. Les entreprises fonctionnent avec la mise en place des programmes de gouvernance à travers des méthodes saines et la gestion de fonds, confiée par les investisseurs aux entreprises.
Alain Deneault, quant à lui dans son ouvrage intitulé «Le management totalitaire » a déclaré que le principe de la gouvernance ne peut se faire qu’à travers «la création des mécanismes d’encadrement des entreprises, voire l’adoption des mesures accrues de surveillance des employés et qui en préférence seraient de voie électronique dans le but de les mettre au pas et optimiser la moindre de leurs opérations ».
Cependant, le principe de panoptique est appliqué afin atteindre des objectifs bien déterminés dans des entités d’enfermement et à partir de là on peut assurer le contrôle social au sein de l’entreprise.
Alors, nous pouvons déduire que le principe du panoptique est considéré comme étant une doctrine sociale et politique spécifique aux entreprises néolibérales, lesquelles apportent une régulation normative ainsi qu’une libre circulation. 
Du point de vue de la critique, la rationalisation et la normalisation des comportements des individus ne peuvent être réalisées, selon l’utopie néolibérale, qu’à travers des méthodes techniques « sophistiquées » de précognition, autrement dit, de prévention intégrale grâce aux capacités prédictives des outils informatiques.
D’après plusieurs articles scientifiques, nous pouvons affirmer que les entreprises intègrent de nouvelles formes de ségrégations socio-spatiales, au sein d’un bâtiment tertiaire, dans une perspective micro-géographique au niveau du bâtiment et de ses étages. Ces scientifiques ont travaillé sur des multinationales profondément hiérarchisées et conçues comme des organisations quasi-totalitaires, à l’image des asiles et des prisons, qui sont des indicateurs déterminants de contrôle socio-spatial. 
Toujours d’après ces chercheurs, la seconde moitié du 20ème siècle, a été largement marquée par une reconfiguration totale de l’espace productif au sein des entreprises. Il s’agit en effet du concept de l’agencement de l’espace. Cette stratégie dite « nouvelle économie » de l’espace cherche à intégrer dans les pratiques et les valeurs des travailleurs, une conception de l’activité organisée autour des principes de communication, de transversalité, de disponibilité et de réactivité «dans un environnement économique qui impose lui-même flexibilité, transversalité, communications et relations ». 
L’espace de travail est limité à une instance de surveillance et de disciplinarisation, au détriment de toute possibilité de réinvestissement et de régulation professionnelle. L’application de ce principe a porté ses fruits en matière d’augmentation des chiffres d’affaires dans les entreprises en question, mais a aussi causé par ricochet, la perte d’une grande part du capital humain. Le premier avantage qu’une entreprise peut tirer de cet agencement de l’espace, réside dans l’augmentation du chiffre d’affaires. Ensuite, il va permettre de surveiller sans que les salariés s’en rendent compte. 
L’open space a été appliqué dans les pays développés tels que les Etats-Unis, pour exemple, la multinationale Google. En comptant plus de 54.604 employés, elle intègre les derniers dispositifs dont les open space, les caméras, sans oublier de motiver les salariés. Ce dernier élément est crucial dans le sens où la majorité des employés pensent à quitter la multinationale, vu le stress et le nombre d’heures de travail. Comme quoi, toutes ces conditions ne peuvent être qu’à la faveur du système néolibéral. Nous pouvons ajouter que toutes ces stratégies ne sont en réalité qu’un leurre via lequel l’entreprise dissimule sa dictature. L’agencement de l’espace productif s’avère être un outil judicieux pour augmenter la productivité en donnant l’illusion de liberté et de créativité. Du coup, on se pose la question : pourquoi l’appât du gain se fait-il au détriment de l’humain ?
 


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