En Tunisie, la chasse aux nouveaux électeurs de nuit comme de jour

21/05/2019

Après la rupture du jeûne, Shayma, 26 ans, file vers la médina de Tunis pour un nouveau défi nocturne: avec ses collègues recrutés comme elle pour mettre à jour les listes électorales, elle doit inscrire le maximum de jeunes pour les scrutins nationaux de fin 2019.
Durant le mois du jeûne de Ramadan, la vieille ville de Tunis s'anime la nuit.
Composée de cinq femmes de 22 à 29 ans, l'équipe de Shayma circule de café en concert, munie de tablette et de carnet, à la rencontre de jeunes pour les enrôler en quelques minutes.
"Bonsoir! êtes-vous inscrits?", lance Shayma Kouki à un groupe de jeunes attablés dans l'une des ruelles bondées du coeur de la médina de Tunis.
Après cinq minutes de discussions, Shayma a conquis un nouvel électeur potentiel pour les législatives d'octobre et la présidentielle de novembre: Khalil Nefzi, 23 ans.
Au total, 3.000 agents d'inscription ont été recrutés par l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie), chargée d'organiser les scrutins.
Objectif: inscrire le maximum possible des 3,5 millions de Tunisiens non inscrits, en priorité les jeunes, d'ici à la clôture des listes le 22 mai.
Pour atteindre cet objectif, l'Isie a consacré 2,5 millions de dinars afin de sillonner le territoire tunisien: cafés, supermarchés, évènements culturels, usines, zones agricoles et rurales, centres de formation, etc.
A deux jours de la fin de la campagne lancée le 10 avril, les agents sont parvenus à inscrire plus d'un million de nouveaux électeurs, dont 538.000 femmes, selon les récentes statistiques de l'Isie publiées sur son site officiel.
Ils ont réussi à toucher la jeunesse, dont la participation a été particulièrement faible lors du dernier scrutin en date, les municipales de mai 2018.
Parmi les 18-20, plus de 80% des électeurs potentiels sont désormais inscrits, et plus de 70% des 18-25 ans.
"Le nombre total des nouveaux inscrits est très respectable", se réjouit le président de l'Isie Nabil Baffoun espérant que cela permettra "un important taux de participation aux prochaines élections".
Un pari difficile, alors que les Tunisiens, exaspérés par la corruption et les luttes de pouvoir, rejettent les principaux partis actuels -- seuls 33,7% des électeurs inscrits ont voté en mai dernier.
Huit ans après la chute de Zine el Abidine Ben Ali aux cris de "pain, travail, dignité", le pays peine à répondre aux attentes sociales de sa population touchée par un chômage persistant et une inflation à près de 7%.
Face à un jeune de 20 ans qui rejette des "élections vides de tout intérêt", Marwa Fehri use de tous ses atouts avant de réussir à le convaincre de s'inscrire.
"On avait un voleur, nous avons maintenant 100!", lui lance un autre homme fumant la chicha, en référence à l'ancien président tunisien qui s'est exilé en Arabie saoudite après avoir été chassé du pouvoir en janvier 2011.
"Il y a un manque de confiance incroyable de toutes les tranches d'âge envers la classe politique -- ils sont nombreux à dire qu'ils n'attendent rien des prochaines élections," regrette cette diplômée en droit.
Parfois ce pessimisme se manifeste par des insultes envers les agents d'inscription, pris à partie comme s'ils représentaient l'Etat, racontent ces derniers à l'AFP.
"Certains me disent +t'as pas honte de faire la propagande pour des politiciens qui détruisent le pays! Tu traînes la nuit pour ce genre de sale boulot+", ajoute Marwa.
Malgré cela, elle dépasse largement les objectifs et parvient à inscrire 20 à 60 personnes durant les huit heures de tournée quotidienne -- quatre heures le jour et quatre la nuit, Ramadan oblige.
Ahmed, 27 ans, se réjouit de pouvoir changer de bureau de vote aussi facilement. "C'est bien de voir des services mobiles efficaces mises à notre disposition", dit-il.
Les plus difficiles à convaincre sont les adultes de plus de 40 ans. Certains demandent à se désinscrire, regrettant d'avoir voté dans les précédents scrutins, rapporte un autre agent, Wided Hssin, 25 ans.
"Bien que les jeunes soient plus aimables, certains demandent parfois de l'argent pour s'inscrire ou un rendez-vous amoureux en insistant à avoir nos numéros de téléphone", raconte-t-elle amusée.


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