Elle se situe où la vérité ?

Entre recherche de l’immunité et jouissance de libertés

21/10/2021

La sentence est tombée deux jours avant qu’elle ne soit effective. L’obligation du pass vaccinal imposée pour tous et solennellement déclarée par Khalid Ait Taleb,  actuel ministre de la santé, aura pris de court bon nombre tout en suscitant une polémique qui, après tout, dénote d’un signe positif au sein d’une société à l’écoute.

Quelle priorité, au fait, entre la nécessité de tendre à une immunité collective, synonyme de salut, et la jouissance de libertés constitutionnellement garanties ?
 Certains constitutionnalistes et autres activistes des droits de l’Homme soutiennent que la récente décision du gouvernement ne respecte pas la hiérarchie des normes qui dispose qu’une loi se situe au-dessus des décrets et des arrêtés.

Selon Abdelhak Belfkih, professeur de droit constitutionnel et de sciences politiques à l’Université Mohammed Ben Abdellah-Fès, le nouveau pass vaccinal est une violation flagrante de la Loi suprême,   notamment l’article 24 qui stipule que «la liberté de circuler et de s'installer à l'intérieur du territoire national, d'en sortir et d'y revenir, est garantie à tous conformément à la loi » et l’article 29 qui édicte que «les libertés de réunion sont garanties». «Imposer un pass  dans les espaces publics et les établissements privés  est une violation des droits fondamentaux. Pis, il s’agit d'une punition extrajudiciaire. En fait, l'exclusion des citoyens des transports en commun, des hôpitaux, des cafés, des restaurants, des bibliothèques, des associations sportives et culturelles et autres lieux de rencontre est une privation profonde de leur liberté. C'est un déni du droit de réunion et de liberté d'aller et venir, une véritable exclusion de la vie sociale », a-t-il indiqué. Et de préciser : «Imposer le pass vaccinal  dépasse aujourd'hui le cadre normal du droit pénal. Cela conduit à la mise en place de «sanctions sociales» inédites qui associent privation de liberté et incitation à l'humiliation publique. C'est un moyen non juridique  de perturber socialement les personnes. Pire, ce n'est plus la justice qui punit, mais des personnes privées (agent de sécurité, serveurs, bibliothécaires, gérant de hamamm, contrôleurs de transport en commun,  employés des hôpitaux) qui appliquent la punition. Les autorités compétentes ont adopté une logique de la répression massive et douce car elles n’ont pas les moyens de tout contrôler  et elles ont délégué cette mission à la population ».

Notre interlocuteur estime que cette nouvelle décision s’inscrit dans un processus qui a débuté avec le décret-loi 2.20.293 relatif à l'état d'urgence, en particulier son article 3, qui a donné la possibilité au pouvoir exécutif de définir les crimes via des notifications et d’élargir le champ des définitions des délits et crimes. Pour lui, cette imposition du pass vaccinal  n’est aujourd'hui qu’une nouvelle «punition sociale» et  une «manière extrajudiciaire de perturber et d'isoler nos concitoyens socialement». «Aujourd’hui, dans le contexte de la pandémie de Covid-19, nous sommes punis pénalement et socialement sans pouvoir nous défendre. On se demande ce  qui justifie ce genre de punition», s’est-il interrogé.

 Abdelhak Belfkih  avance qu’en matière de loi, la règle est d'être condamné pour avoir commis quelque chose et non l’inverse. « En effet, le principe est celui de la « permission » et  la punition n'est rien d'autre qu'une restriction de ce principe qui est celui de la jouissance de la liberté», a-t-il conclu.

De son côté, Aziz Idamine, expert international en droits de l’Homme, a indiqué que si le Maroc a adopté un décret-loi réglementant l'état d'urgence (ce décret a été transformé en loi conformément au chapitre 81 de la Constitution), il estime que cette loi ne peut violer la Constitution ou les lois réglementaires, car c'est une loi ordinaire, et ne peut, de ce fait, toucher le domaine de la législation. « Il y a l’article 70, appelé ‘’la loi de permission’’ qui permet au  gouvernement de légiférer dans le domaine du droit, c'est-à-dire que l’Exécutif  peut promulguer des décrets qui entrent dans le champ d'application de l'article 71 de la constitution. Pourtant, l’article 70 impose deux conditions, à savoir la définition d’un délai pour ces lois et que l'objectif de la loi soit  prédéterminé. Du coup, la loi d'urgence n'est pas une loi de permission puisqu’elle n'est pas limitée dans le temps, et d'autre part, elle n'a pas précisé les domaines d'intervention de l'Etat », a-t-il expliqué.  Et d’ajouter : « La loi d’urgence sanitaire donne au gouvernement  la possibilité de prendre des mesures nécessaires mais selon le principe de légitimité et de légitimation constitutionnelle. Et en conséquence, le gouvernement ne peut ni intervenir dans le champ des lois ni geler la Loi suprême ».

Aziz Idamine  soulève un autre problème, celui de la protection des données personnelles. Selon lui, le pass vaccinal inclut les données de santé personnelles. Or cela pose le problème d’accès à  ces données par des personnes privées alors que la loi interdit formellement cet accès. Il se demande également s’il est légal de remettre sa CNI à un vigile pour se promener dans un parc ou prendre un café. « La réglementation du pass vaccinal est censée se faire par la loi, qui protège les droits et libertés. La loi sur l'urgence sanitaire ne concerne que le domaine réglementaire, c'est-à-dire le chapitre 72 de la Constitution, et ne peut pas toucher le chapitre 71 de la Constitution », a-t-il conclu.

Hassan Bentaleb


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