Comment le mépris de la darija peut conduire à la “schizophrénie” marocaine

12/03/2019

Dans les premières années de sa vie, l’enfant va commencer à construire son identité en intériorisant et en s’appropriant des éléments apportés par ses parents et se constituer ainsi les prémices de ce que sera son identité future d’adulte.
Parmi les éléments apportés par l’entourage familial, et surtout par ses parents, la langue maternelle joue un rôle très important. Elle est le véhicule qui permet la communication et le partage des émotions et sentiments et elle est présente bien avant la naissance de l’enfant.
En effet, tout au long de la grossesse, la maman et le papa vont s’adresser à leur enfant, de façon directe ou indirecte, et déjà lui transmettre leur amour en se construisant des projections fantasmatiques de ce que sera ce petit d’homme en devenir. Tout ceci bien sûr dans la langue maternelle, véhicule de traduction de sentiments profonds, qui a traversé les générations et vient alors s’imposer à l’enfant, avant même qu’il ne vienne au monde, dans un processus transgénérationnel.
Tout cela se fait de manière inconsciente et la langue maternelle devient alors le support par excellence de tout ce qui va se jouer pour permettre une construction identitaire.
Or nous pouvons nous poser une question : comment va se mettre en place ce processus dans le contexte marocain ?
Car si la langue maternelle pour le marocain est la darija (ou l’amazigh, selon les régions), celle-ci n’est pas considérée comme une langue et se retrouve confinée à un rang subalterne de «dialecte».
Notre identité marocaine se constituerait donc en prenant appui sur un dialecte méprisé ?
La langue officielle de l’enseignement au Maroc est l’arabe mais il y a un gouffre énorme séparant l’arabe et la darija. Ce sont deux langues très différentes, et c’est à son entrée à l’école que l’enfant découvre cette langue étrangère qu’il a quelquefois entendue à la télévision mais que ne lui ont jamais apprise ses parents.
Que va-t-il se passer dans la tête d’un enfant qui a commencé à  construire son identité avec comme langue de construction et d’identification la darija, et à qui on dit à l’entrée au CP "Non, non, tu te trompes, ta langue c’est l’arabe et la darija ne mérite pas de s’élever au niveau d’une langue ! Tu n’as le droit ni de l’écrire ni de l’utiliser en classe, elle est bonne juste à être utilisée dans la rue".
Pouvez-vous imaginer ce qui se passe dans la tête de cet enfant ? Quel regard va-t-il porter sur lui-même  qui  sent pourtant que cette langue maternelle, cette darija, fait partie de lui?
Il se l’est déjà appropriée, il s’est construit en s’appuyant sur les mots d’amour murmurés par sa maman dans une langue qu’il prenait pour sienne. Comment va-t-il gérer cette incohérence ? Va-t-il devoir déconstruire et reconstruire? Ou alors va-t-il choisir d’avoir deux vies, deux identités parallèles?
Celle qu’il a à la maison, qu’il utilise pour dire ce qu’il ressent, avec laquelle il va partager les peines et les joies, même si elle est limitée puisque condamnée à évoluer lentement et de façon anarchique car peu écrite et pas reconnue officiellement.
Et une deuxième vie, une deuxième identité, fondée sur la langue arabe et à laquelle on veut l’identifier de force, qui le réduit donc à une identité qui n’est pas sienne puisque étrangère, venant de lointains pays arabes ayant une culture et des traditions bien différentes de ce qu’il a connu à la maison où il a ouvert les yeux.
Il se retrouve donc confronté à une dualité bien inconfortable, avec une identité qui méprise la seconde, la sous-estime, la dénigre, et cette dernière, impuissante et résignée, en position de faiblesse se retrouve à se mépriser et à se détester ! Quelle torture !
Voilà ce qui explique peut-être ce phénomène tellement controversé, que vivent pourtant la plupart des Marocains,  et qui a pris le nom de «schizophrénie sociale».

 * Psychothérapeute hypnothérapeute
Coach en développement personnel et professionnel
Consultante en parentalité et éducation (Meknès)


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