Au Kurdistan d’Irak, la présidente du Parlement casse les codes

15/06/2021

Pour la militante des droits des femmes Avan Jaff, Mme Faiq est au Kurdistan ce que Benazir Bhutto a été au Pakistan

L’ une des deux seules femmes présidentes de Parlement du Moyen-Orient, Rewaz Faiq casse les codes au Kurdistan irakien, où seule une poignée d’hommes et leurs clans ont la haute main sur tout. A 43 ans, cette Kurde connue pour son franc-parler ne se départ jamais de ses tenues traditionnelles colorées pour diriger les affaires du Parlement de la région autonome du nord de l’Irak où plus de huit femmes sur dix sont femmes au foyer. Femme et membre de la direction de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) —au pouvoir à Souleimaniyeh, deuxième ville du Kurdistan, mais minoritaire à Erbil, la capitale où siège le Parlement—, elle savait que les défis seraient énormes à son élection en juillet 2019 à la tête du Parlement où elle entrait six ans plus tôt. Elle ne dispose que d’une homologue dans la région, Fawzia Zainal, élue présidente du Parlement de Bahreïn, fin 2018. A 15 ans, Rewaz Faiq voyait son village détruit par le régime de Saddam Hussein et rejoignait alors l’opposition communiste avant de passer à l’UPK alors dirigé par le défunt président de la République irakienne Jalal Talabani. Lui, dont la femme Hero a longtemps été impliquée dans les affaires du parti, “croyait vraiment aux femmes et à leurs capacités”, assure Mme Faiq à l’AFP. Mais aujourd’hui, “alors même que la société est plus ouverte et tolérante sur la question de la participation des femmes en politique, l’UPK a moins de femmes politiciennes”. Tous les partis “regorgent de domination masculine, de discrimination et d’abus sexuel” et les femmes deviennent facilement “l’otage des gains personnels et politiques des politiciens hommes”, poursuit cette docteure en droit qui ne mâche pas ses mots face à ceux qu’elle appelle les “faux politiciens”, figures uniquement médiatiques selon elle dans un pays où tous les organes de presse ou presque sont affiliés à des partis. Et dans une société tribale où les femmes sont bannies des funérailles et des conseils tribaux, elles n’ont pas ces espaces pour se faire connaître ou s’imposer. Ni même pour tenter de faire changer les coutumes tribales qui encore aujourd’hui tuent des femmes, entre crimes dits “d’honneur” et suicides de femmes et de jeunes filles poussées à bout. Pour la militante des droits des femmes Avan Jaff, malgré tout, Mme Faiq est au Kurdistan ce que “Benazir Bhutto” a été au Pakistan. Mme Bhutto a été en 1988 la première femme à diriger un pays musulman et Mme Faiq, dit-elle à l’AFP, “a changé la vision de la politique kurde” et “donné de l’espoir à toutes les femmes du Kurdistan avec son charisme”. La preuve? Fin mars, un député d’opposition lui a lancé sa chaussure au visage, alors qu’elle présidait une séance au Parlement. “Cela a été diffusé en direct à la télévision mais elle n’a pas perdu son calme une seconde”, assure Mme Jaff. Après cela, Mme Faiq a étonné dans un pays où régulièrement élus, militants ou internautes sont inquiétés pour avoir critiqué des politiciens en affirmant publiquement: “si vous me visiez moi, je vous pardonne, en revanche, si vous visiez le Parlement, je ne peux pas excuser cela”. En Irak où hommes politiques et groupes armés vont souvent main dans la main, cette mère de deux garçons proches de la vingtaine dit refuser “d’être entourée d’hommes en armes”. Ses positions hétérodoxes lui ont valu, assure-t-elle, l’isolement au sein même de son parti. “Au début, cette solitude m’a fait peur, mais aujourd’hui, elle me rend plus forte”, assure celle qui a présidé au Parlement le vote de lois censées endiguer les principaux fléaux du Kurdistan irakien, notamment la contrebande d’hydrocarbures et la drogue. Mais pour Mourad Abdallah, infirmier kurde trentenaire, elle ne fait pas assez sur la question sociale dans une région régulièrement secouée par des manifestations contre la vie chère et la corruption. “Tous les mois, le gouvernement ampute nos payes et ni Mme Faiq ni le Parlement ne remettent ça en question”, s’emporte-t-il. Une question majeure au Kurdistan, où deux foyers sur trois vivent d’un salaire ou d’une pension de l’Etat.


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