Prénoms amazighs : Pourquoi sont-ils si craints ?

02/07/2016

Les associations amazighes ne décolèrent pas. Et pour cause, cinq ans après l’adoption de la Constitution 2011 qui reconnaît la langue amazighe comme langue nationale, les autorités continuent de refuser l’inscription des prénoms amazighs sur les registres de l’état civil.
43 cas de refus d’inscrire de tels prénoms amazighs ont eu lieu depuis l’adoption de la Constitution 2011, indique une lettre ouverte adressée récemment par le bureau exécutif de la Fédération nationale des associations amazighes (FNAA) au chef du gouvernement, aux ministres de l’Intérieur et de la Justice et des Libertés, au délégué interministériel aux droits de l'Homme, au président du CNDH et aux présidents des groupes parlementaires.
A titre d’exemple, la FNAA dont le coordinateur national est l’avocat Ahmed Arahmouch, a cité le cas récent du refus par le service d’état civil à l’arrondissement 8 à Meknès d’enregistrer le nom « Ily » donné par Jadou Idriss et son épouse Kbir Ghanima à leur fille née le 25 juin 2016.
En dépit de l’insistance du père, les services d’état civil ont refusé d’enregistrer ce nom sur leurs registres au prétexte qu’il fallait consulter la Haute commission de l’état civil au ministère de l’Intérieur.  En guise de preuve de leur respect des procédures, ils auraient exhibé « des listes remontant à l’époque de l’ancien ministre de l’Intérieur, Driss Basri », selon la même source.
La FNAA a, dans ce cadre, appelé le gouvernement à abroger et à amender « toutes les lois et législations qui consacrent la ségrégation raciale au Maroc » et à « adopter des politiques publiques basées sur le respect des droits de l’Homme, ce qui est à même de mettre fin à la confusion qui règne au sein du gouvernement et du Parlement concernant l’opérationnalisation des dispositions de la Constitution relatives aux droits linguistiques et culturels amazighs ». Elle a également appelé à la dissolution de la Haute commission de l’état civil car, selon la FNAA, son existence même viole les conventions internationales des droits de l’Homme et des peuples.
Dans une déclaration à Libé, Mohamed Arahmouch a qualifié ce qui s’est passé d’ « absurdité ».
Il a estimé qu’il y avait anguille sous roche, car « s’il s’agit seulement d’un cas ou deux, on pourrait en déduire qu’il y est seulement question de fautes commises par des fonctionnaires, mais le fait que 43 cas soient survenus durant 5 ans, cela est anormal et incompréhensible », et d’ajouter qu’il  « estime que cela est orienté, voire orchestré ». A preuve, les dispositions constitutionnelles concernant l’amazigh n’ont pas encore été opérationnalisées cinq années après l’adoption de la Constitution.
Selon lui, le gouvernement est responsable de ce retard. « La position de la coalition gouvernementale est une position hostile, chauviniste et tout le monde connait les positions prises à l’encontre de l’amazigh par le parti qui préside le gouvernement avant, durant et après les élections », a assuré Ahmed Arahmouch.
Il a, en outre, regretté que la proposition de loi déposée en 2013 par le Groupe socialiste à la Chambre des représentants n’ait pas été adoptée. Visant à amender les articles 20 et 21 de la loi n°37-99 relative à l’état civil, elle avait pour but de mettre fin aux abus de pouvoir commis par l’administration en matière d’inscription des prénoms amazighs.
Le Groupe socialiste a ainsi proposé un amendement de l’article 21 à travers le rajout d’une phrase stipulant que «l’officier de l’état civil ne peut refuser le prénom choisi par la personne faisant la déclaration de naissance en vue de l'inscription sur les registres de l'état civil tant que ce prénom n’est pas en contradiction avec le premier paragraphe de l’article». Le premier paragraphe de l’article 21 de la loi relative à l’état civil, et dont les parlementaires ont voté la révision en 2002, indique en effet que «le prénom choisi par la personne faisant la déclaration de naissance en vue de l'inscription sur les registres de l'état civil doit présenter un caractère marocain et ne doit être ni un nom de famille ni un nom composé de plus de deux prénoms, ni un nom de ville, de village ou de tribu, comme il ne doit pas être de nature à porter atteinte aux bonnes mœurs ou à l'ordre public».
Cette proposition de loi a été tout bonnement bloquée par certaines composantes de la majorité gouvernementale, nous a précisé Rachida Benmassoud, membre du Groupe socialiste à la Chambre des représentants.
Il convient de noter que le chef du gouvernement s’était engagé dans sa déclaration gouvernementale en janvier 2012 de respecter les libertés et les droits de l’Homme en mettant en pratique la circulaire n° 3220 en date du 9 avril 2010 définissant les prénoms marocains, y compris juifs, amazighs et hassanis, adressée par le ministre de l’Intérieur aux walis et gouverneurs pour les exhorter à « entreprendre les actions nécessaires pour informer et sensibiliser les présidents de communes –officiers d’état civil ès qualités- au contenu de cette circulaire ».

La liste Basri
En dépit du fait que l’amazigh a été reconnu langue officielle par la Constitution de 2011, les prénoms amazighs font encore l’objet d’interdiction selon la FNAA.
Les officiers d’état civil se réfèrent à une liste de prénoms établie au début des années 90 pour interdire ceux qui sont à consonance amazighe. Or, ils feignent d’ignorer que cette liste a été supprimée en 2003, à la suite de la création par S.M le Roi Mohammed VI d’une commission visant à régler cette question des prénoms.  
En 1992, la publication de cette liste des prénoms considérés comme les seuls à avoir un caractère marocain a rendu impossible toute velléité de donner à son enfant un prénom amazigh. Elle a donc été supprimée en 2003, après que S.M Mohammed VI eut reconnu la diversité culturelle et identitaire du Maroc en 2001.

Une reconnaissance progressive
A partir de 1956, les politiques d’arabisation successives entamées à l’indépendance conduisent à la raréfaction des prénoms amazighs tels qu’Izza, Tafoukt, Massine, Ider, Itto, Tilila, Tiziri, Gaïa, Izza, etc….
1992 : Le ton se durcit encore. Une circulaire du ministère de l’Intérieur, valable jusqu’en 2002, dresse une liste de prénoms autorisés, qui en intègre seulement quelques-uns d’origine amazighe, triés sur le volet. Tous les autres sont systématiquement interdits.
2001 : S.M le Roi Mohammed VI créé l’Institut Royal de la culture amazighe (Ircam).
5 février 2009 : le tribunal administratif de Meknès donne gain de cause à une famille qui s’était vu refuser le droit de prénommer son fils Sifaw et avait intenté un procès contre l’Etat.
9 avril 2010 : la circulaire D-3220 du ministère de l’Intérieur autorise tout prénom à « caractère marocain », c’est-à-dire couramment usité dans le Royaume. Les prénoms amazighs sont reconnus, même si leur « signification peut varier d’une région à l’autre ». La circulaire intime aussi aux agents de l’état civil de « faire preuve de souplesse » et de privilégier la conciliation en cas de divergence.
1er juillet 2011 : La nouvelle Constitution reconnaît l’amazigh comme langue officielle du Royaume, au même titre que l’arabe. Le texte prévoit également la mise en place d’un Conseil national des langues et de la culture marocaine, qui veille notamment à protéger et développer l’amazigh.

 

Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ?
L’interdiction d’inscrire les noms amazighs sur les registres de l’état civil avait posé nombre de problèmes. De nombreux parents voulant donner un prénom amazigh à leurs enfants ont dû entamer des poursuites judiciaires. De longues procédures qui ont non seulement un coût mais qui ont surtout laissé sur le côté de nombreux enfants sans prénoms officiels, par conséquent inexistants aux yeux de l’état civil. En effet, les parents ont refusé de se plier à cette règle et ont préféré engager des poursuites contre l’Etat. Des procès gagnés par l’ensemble des familles. Preuve que la décision d’interdire les prénoms amazighs était illégale.
 Le comble du ridicule est qu’il y avait des prénoms qui étaient interdits dans une ville et autorisés dans une autre, comme s’il y avait deux lois dans un seul et même pays. C’est le cas par exemple du prénom Numidia qui avait été interdit à Al Hoceima et accepté à Nador. Ou encore le prénom Youba interdit à Casablanca et autorisé à Kénitra !.
Désormais, et cette fois-ci de manière officielle, les prénoms amazighs ont fleuri de nouveau dans les livrets de familles marocains. Mais la mesure qui en a levé l’interdiction d’inscription semble ne pas avoir été observée dans l’ensemble des bureaux d’état civil.
La lettre ouverte adressée récemment par le bureau exécutif de la Fédération nationale des associations amazighes (FNAA) au chef du gouvernement, aux ministres de l’Intérieur et de la Justice et des Libertés, au délégué interministériel aux droits de l'Homme, au président du CNDH et aux présidents des groupes parlementaires a, en effet, sérié 43 cas de refus d’inscription des prénoms amazighs depuis l’adoption de la Constitution 2011.

 


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