L’arabe dialectal dans l’enseignement ou l’inadvertance inacceptable

25/11/2013

L’arabe dialectal dans l’enseignement ou l’inadvertance inacceptable
Un spectre hante le pays: le spectre du malentendu qui risque de devenir une nouvelle tradition. On l’a toléré dans le champ politique. Le voilà maintenant qui  s’apprête à passer dans le domaine de  l’éducatif et par contagion dans celui du  culturel. Il y a quelques semaines, les Marocains ont pris connaissance qu’un comité   institué et dirigé par Noureddine  Ayouche était en train de réfléchir sur la question de l’enseignement. Tout en exprimant notre soutien total à l’initiative en tant que telle, et  au-delà du respect que nous devons à ses membres, nous ne cachons pas  notre déception quant à  l’une de ses recommandations relevant de la  question  linguistique dans l’enseignement marocain. Ledit comité propose que soit remplacée la langue arabe  classique par la langue dialectale marocaine.
 Disons tout de suite que la langue arabe classique n’a jamais été problématique ni pour le système éducatif marocain, ni pour tout autre système dans n’importe quel  pays arabe. On compte vingt-quatre pays dans le monde arabe. Il n’en a jamais été question de la langue arabe, en soi, quand il s’agit de dénombrer les problèmes qui font obstacle au progrès d’un  système ou d’un autre. Nous évoquons ce rapport  qui nous rapproche, avec les pays arabes, justement parce que ce rapport s’établit comme un rigide handicap à tout dépassement linguistique. Ceci reste vrai quelle que soit la spécificité qui est la nôtre. Cette donne, de nature communautaire, n’est révélatrice que dans la mesure où la langue arabe classique ne présente en elle-même aucun caractère devant lequel l’élève marocain se trouve entravé  dans ses apprentissages. Si tel  était le cas, l’arabe classique serait morte il y a bien des siècles. Or, la généralisation de l’enseignement qui est aujourd’hui un acquis, a pu se réaliser alors que la langue de l’enseignement dans les pays du Maghreb fut et reste encore l’arabe classique. Par contre, et de tout temps, l’arabe courant n’a jamais réussi à devenir un support de savoir de  connaissance, de  science ou de pensée. Et si cette langue courante,»la darija», constitue  aujourd’hui  comme par le passé un moyen de communication, aussi réussi que celui offert par  les langues amazighes, c’est grâce justement à ce fabuleux enrichissement qu’elle doit, en partie,  à l’arabe dite classique. Aussi, le constat  est fait aujourd’hui comme jamais auparavant, montrant ainsi que l’arabe courant  a été de tout temps l’expression des arts qui ont comme base le conte. Les chansons, les pièces théâtrales de Seddiki, de Kaouti, de Berrechid, le «Zajal», le «malhoune», etc… nous présentent des modèles expressifs dans ce domaine précis. Et pourtant, la « darija » s’est toujours limitée à ce statut et ne l’a jamais dépassé pour devenir  un support du savoir, le (savoir) dans son sens  exact. Justement parce que toute vraie  langue ne peut se suffire de l’unique communication. C’est pourquoi l’arabe courant, vu  sa dimension jusqu’à nos jours uniquement communicative, ne possède pas encore  les éléments qui lui permettraient d’être une langue du savoir, tous savoirs confondus. En appuyant cette langue courante sur des bases scientifiques, tâche qui revient aux spécialistes,  le débat deviendra aussi utile que congru pour trouver comment nous devrons l’introduire  non seulement dans l’enseignement, mais aussi dans toute la vie.
L’aspiration de l’introduire dans tous les pays du Maghreb reste et restera controversée de par les nuances combien nombreuses  qui caractérisent chaque darija, dans chaque pays maghrébin. Pire, dans le même pays, plusieurs langues dialectales sont pratiquées. En faire une seule langue aussi codifiée que l’est la langue arabe classique, cela est aujourd’hui loin, très loin d’être une vraie préoccupation pour le peuple marocain, toutes ethnies confondues.
Rappelons au passage, avec l’éminent romancier marocain de langue arabe, historien et penseur, Abdellah Laroui dont beaucoup de travaux ont été rédigés, les uns en français, d’autres en arabe classique, deux faits significatifs. Le premier se rapporte à la décision du Protectorat français visant à faire de l’arabe dialectal, à côté du berbère, une langue officielle. Pour cette fin, les responsables du Protectorat ont fait appel à des linguistes parmi lesquels des spécialistes de dialectes. Tous, et à l’unanimité, ont été d’accord que le projet est un échec cuisant. Le deuxième fait est  lié essentiellement à des intellectuels francophones qui  revendiquent que l’arabe classique doit être remplacée par l’arabe dialectal. Laroui constate qu’ils n’ont jamais mis en application leur souhait (lire son ouvrage : «Min diwan as-siassa»).  Quant à nous, nous  sommes seulement surpris de constater qu’aucun de ces spécialistes dont on ne cesse, et à chaque occasion, de nous en rappeler l’existence, n’a présenté une vraie étude qui nous montrerait de quelle manière nous allons codifier  cet arabe dialectal. Comment nous allons résoudre les problèmes complexes liés à la voyelle arabe, à la lettre arabe, au problème de la conceptualisation…Bref, nous sommes toujours étonnés de lire des appels lancés par des écrivains marocains  en langues étrangères pour que la langue dialectale soit admise dans l’enseignement. Ils insistent à ce qu’elle remplace la langue arabe classique. Manquant d’arguments scientifiques, ils trouvent plausible de répéter qu’il ne doit pas y avoir de rupture  dans la vie de l’élève. C’est le même argument que retient le comité de  Noureddine Ayouche. Selon eux   et pour que cette rupture n’ait pas lieu, il faut juste garder le dialectal dans le processus de l’apprentissage. Ce qu’ils oublient, c’est cette soi-disant coupure est l’une des conditions  dont la nécessité n’échappe à personne, qui fait  que l’école réponde à cette nouvelle donne. Sinon, pourquoi doit-on l’établir ? Si cette coupure ne se produisait pas, comment l’élève apprendrait-il ?
Pour ce faire,  nous  pensons que, dans  l’intérêt  du pays, l’on se doit de retirer cette recommandation relative à l’introduction de l’arabe dialectal dans l’enseignement.
 *Ecrivain, penseur


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